" Un prophète à Topheth: August Strindberg relit Jérémie "
Ana Boariu
Directeur(s) de thèse
Elena Di Pede (UL), Daniela Gologan (Miruna Runcan) (Cluj)
Composition du jury

Mme Elena DI PEDE Université de Lorraine Directeur de these

Mme Daniela GOLOGAN Université Babes-Bolyai - Faculté de théâtre et Télévision CoDirecteur de these

Mme Anca MANIUTIU Université Babes-Bolyai Cluj Examinateur

M. Jean-Michel WITTMANN Université de Lorraine Examinateur

M. Ion TOMUS Université Lucian Blaga Sibiu Rapporteur

M. Ioan ROBU Université de Bucarest - Faculté de théologie catholique Examinateur

M. Ioan BRANCU Université d'Arts de Théâtre et de Cinéma I.L. Caragiale Examinateur

Mme Ana Maria RUSU Université d'Arts George Enescu, Iasi Examinateur

Date et heure de soutenance
Lieu de soutenance
Strada Mihail Kogălniceanu 1, Cluj-Napoca 400084
Résumé

Un prophète à Tophet
August Strindberg relit Jérémie

Un geste accompli au cours d’une représentation théâtrale et un geste prophétique peuvent-ils se rejoindre ? Un texte dramatique peut-il avoir lui-même vocation « prophétique », dans le sens où il éveille la conscience de ses destinataires — metteur en scène, acteurs et, à travers eux les spectateurs — qui voient ce texte prendre vie sous leurs yeux dans une mise en scène particulière ?

Telle est la question au centre de ma recherche. Pour l’aborder je propose d’étudier la manière dont l’auteur dramatique suédois August Strindberg[1] (1849-1912) reçoit et relit dans son dernier écrit pour le théâtre, la Grand’ Route, la prophétie de Jérémie[2]. Dans la volonté de décoder son époque et ses dérives, en effet, Strindberg trouve un modèle et une clé de lecture dans le livre du prophète Jérémie[3] qui lui sert à proposer une critique sociale éclairée à la lumière du dessein de Dieu pour les peuples[4].

Une première lecture montre que La Grand’ Route et Jr[5] se rejoignent sur certains éléments :

  • prophétie et théâtre ont leur point de départ dans la figure d’un voyant, un homme qui voit « l’invisible à travers le visible » et qui est ou se sent appelé à délivrer un message divin à ses contemporains, en vue de leur conversion ;
  • ce message peut être caché dans le geste le plus quotidien qui, répété et révélé par l’artiste ou le prophète, devient signe ;
  • l’ensemble des signes que le voyant – artiste ou prophète – réussit à lire dans sa vie quotidienne et qu’il transmet à son auditoire forme son histoire personnelle, la route de sa vie… Or sa vie devient elle-même signe.

En me concentrant sur trois éléments particuliers de La Grande route qui se trouvent également dans Jr (le prophète à Topheth, le vase et la route) je souhaite montrer ce qui, dans l’œuvre de Strindberg, compose le noyau dramatique et prophétique. L’analyse sera menée d’un point de vue narratif, stylistique et sémiotique et se penchera également sur la manière dont Strindberg, avec son regard particulier de dramaturge contemporain, relit Jr, mettant en exergue la dramatique propre à ce texte biblique et le rôle spécifique du prophète, avec lequel il semble s’identifier.

On souhaite vérifier, au final, si la source et la modernité du théâtre n’est pas, en réalité, le geste prophétique par lequel dramaturge et prophète se rejoignent dans la mission d’éprouver leurs contemporains et de sonder leur voies (Jr 6,27).


[1] August Strindberg, écrivain, dramaturge et publiciste suédois est un des pères du théâtre moderne, connu particulièrement pour ses tragédies naturalistes écrites dans les années 1880, dont Mademoiselle Julie. Toujours en guerre avec ses contemporains, depuis son premier roman La chambre rouge (1879), le roman de critique sociale qui lui a apporté la célébrité, jusqu'aux Drapeaux Noirs (1907), satire réaliste de l'intelligentsia contemporaine, les textes de Strindberg ont suscités les réponses les plus diverses, de la méfiance à l'enthousiasme.

[2] Proclamant la parole divine essentiellement à Jérusalem, à la fin du sixième siècle avant J.C., Jérémie est également envoyé à Topheth (Jr 7, 31.32; 19, 6.11.12.13.14), lieu qui symbolise à lui seul la perversion des israélites (Jr 19,1–20,2). C’est également à Topheth que le prophète est invité à poser un acte prophétique – qui unit le geste à la parole pour renforcer cette dernière – particulier : Jérémie doit briser un vase pour annoncer la destruction de Jérusalem.

[3] De son premier drame historique, Master Olof au Livre bleu, Strindberg voit en Jérémie et surtout dans le récit de la vocation de prophète, ce qui exprime le mieux son propre destin d'écrivain, appelé à détruire, mais aussi à bâtir. Le texte de la vocation (Jr 1, 4-6.10-11) est cité dans Master Olof (Ed. Bonniers, Stockholm, 1903, p.12) et dans Le livre bleu (Strindberg, August,  En bla bok (Samlade Verk 65), Ed. Norstedts, Stockholm 1997, p. 666 etext), tandis que dans l’ensemble de son œuvre, Strindberg cite Jr à peu près une trentaine de fois, selon la base de données www.literaturbanken.se, consultée le 30.08.2015.

[4] Durant les dernières années de sa vie, Strindberg s’est engagé plus que jamais dans la vie sociale et politique suédoise. C’est lui qui lance le débat sur L’état populaire, s’acharnant contre Le culte pharaonique et parlant d’une Renaissance religieuse, titres de trois de ses réflexions publiées dans la presse engagée, entre 1910 à 1912, qui ont déclenché ce que l’on a appelé « la querelle Strindberg ». Voir Grimal Sophie, « Un livre bleu : le testament spirituel d’August Strindberg », in Elena Balzamo (éd.), Strindberg – Cahier de l’Herne, Paris, l’Herne, 2000, 221.

[5] Abréviation courante pour indiquer le livre biblique de Jérémie. Je l’utiliserai lorsqu’il sera question du livre afin d’éviter la confusion avec le nom « Jérémie » qui visera le personnage du prophète.