Lettres westphaliennes (1797), Charles de Villers ; Lettres sur la Westphalie (1807), Louis de Graimberg. Edition critique
Nicolas Brucker2023
262 pp.
La Westphalie a mauvaise réputation au 18e siècle. Voltaire évoque en 1750 ses « abominables campagnes ». Il faut attendre la Révolution et le début du siècle suivant pour qu’on lui reconnaisse un attrait touristique, un intérêt culturel, un pittoresque qu’on se met alors à qualifier de "romantique". Charles de Villers (1765-1815) et à sa suite Louis de Graimberg (1776-1820) sont les artisans de cette réhabilitation. Tous deux sont d’anciens officiers, émigrés en Allemagne, si bien adoptés par leur terre d’accueil qu’après les lois d’amnistie ils décident d’y demeurer. Tous deux, pour narrer leur voyage, choisissent la forme des "lettres instructives et amusantes", en vogue tout au long du 18e siècle, mêlant traits d’esprit, poésie fugitive, observations morales et politiques, description des lieux, circonstances matérielles du voyage. Les "Lettres" de Villers appartiennent à un sous-genre, le voyage aux eaux : la petite ville de Dribourg est le centre à partir duquel se découvre la Westphalie orientale. Les "Lettres" de Graimberg tiennent de l’excursion : il s’agit dans les deux cas d’un voyage thérapeutique.
Sous la légèreté du ton et du style affleurent les enjeux politiques. La défaite de la Prusse en 1806 à Iéna a ouvert la voie à la création d’un grand état, sous protectorat français, au cœur de l’Allemagne : le Royaume de Westphalie, dont les limites débordent celles de la Westphalie historique, est mis en place en 1807-1808. Au même moment paraissent les "Lettres sur la Westphalie" de Graimberg et, opportunément, une réédition des "Lettres westphaliennes" de Villers, parues dix ans plus tôt. La Westphalie, naguère détestée, est alors à la mode. L’âme allemande, célébrée par Klopstock, règne dans les forêts, les eaux et les châteaux en ruines de la Westphalie.
Pour la première fois réunis, ces deux recueils font l’objet d’une édition documentée réalisée sur la base d’exemplaires historiques : pour Villers, son exemplaire personnel, annoté et corrigé de sa main, conservé à Hambourg ; pour Graimberg, l’exemplaire déposé par ses soins à la Bibliothèque de Karlsruhe. En annexe figure la traduction de deux chapitres extraits d’un guide-conseil publié par un médecin des eaux, J. D. Brandis, "Instructions pour l’usage des eaux de Dribourg" (1792).