PATMOS (PATrimoines Modèles Spiritualités)

Coordination : Anne Spica, Sylvie Barnay

Historique

Lors de sa précédente visite d’évaluation du Centre Ecritures (2012), l’AERES a mis l’accent sur la nécessaire convergence de ses programmes. Outre le fait que plusieurs chercheurs ont participé aux deux programmes 3 « le christianisme et ses héritages » et 4 « Bible et littérature », les différents séminaires et colloques développés par ces derniers ont procédé de logiques convergences, quoique s’inscrivant dans des champs distincts : la théologie, la philosophie, l’exégèse entre autres pour le programme 3, la réception et la réécriture des patrimoines bibliques et spirituels en tant que modèles de réécriture et d’invention. On pourra citer pour le programme 3, les séminaires « attentes messianiques » (2011-2013) et « exode et exil » (2013-2015), les colloques The Dead Sea Scrolls and Pauline Literature (2011), Reconfiguring the Study of Ancient Hebrew. The Seventh International Symposium on the Hebrew of the Dead Sea Scrolls and Ben Sira (2014), en collaboration avec le GRS à Strasbourg, EA 4378. ; Rethinking the Boundaries of Sapiential Traditions in Ancient Judaism. Third International Symposium on Jewish and Christian Literature from the Hellenistic and Roman Period (2014), en collaboration avec Yale University et KUL ; pour le programme 4 les colloques internationaux Tobie à la Renaissance (coord. A. Cullière) (novembre 2013), La Bible de Rétif de la Bretonne (coord. N. Brucker), (octobre 2014). Ces différentes manifestations se sont attachées à faire intervenir des chercheurs des deux programmes autour de problématiques convergentes, philologiques, herméneutiques, littéraires, philosophiques. Durant l’année 2013-2014, des réunions ont eu lieu pour mettre en oeuvre les programmes, qui aboutirent lors de l’assemblée générale du centre de juin 2014 à la réorganisation des programmes 3 et 4 autour de l’axe PATMOS.

Problématique générale

L’axe PATrimoines Modèles Spiritualités (PATMOS) rassemble des chercheurs, spécialistes de différents champs disciplinaires (théologie, littérature,  philosophie) qui travaillent ensemble sur des questionnements communs en fonction de leurs méthodes propres. Son objectif est d’interroger les champs de l’écriture, de la pensée, du savoir et des pratiques sociales à partir de la tradition biblique et de ses héritages en synchronie comme en diachronie.

Cet axe explore le fonctionnement de cette tradition : sources, idées, modèles (figures et discours), réceptions et transferts. Il se décline en trois spécialités destinées à s’articuler les unes aux autres : « Bible : exégèse, littérature et philologie » ; « littérature et spiritualité » ; « théologie et rationalité ». Elles étudient les différentes expressions de la spiritualité et des formes de transcendances et posent, pour l’ensemble de ces champs, la question des interprétations. Y sont développées, selon divers modalités et problématiques, les questions de sources et leurs processus de légitimation, de construction des textes et des discours, de leurs enjeux et de leurs effets.

Les travaux de l’axe PATMOS ont vocation à déboucher sur des outils de recherche, des manifestations et des publications éclairant sous plusieurs angles les questions choisies.

Mots clefs : Bible, culture, éthique et esthétique, fait religieux, herméneutique, modèles, société, patrimoines, philosophie, spiritualité, réception, réécritures, théologie.

Opérations de recherche

Bible : Exégèse, littérature et philologie

Affichons notre ligne problématique : le texte biblique ne sera pas ici affaire d’adhésion, mais d’abord de lectures et de processus interprétatifs dans leur diversité et leurs contradictions. Il s’agira de s’intéresser aux constructions complexes que ces textes au statut si particulier peuvent motiver. Le corpus biblique pose de nombreuses questions, qui touchent autant à son statut et à sa réception qu’à son histoire de formation ainsi qu’à son interprétation. Parmi ces questions, notons-en quelques-unes. Tout d’abord celle de l’identification de son ou de ses ou auteur(s) : qui sont-ils et pourquoi ont-ils écrit ? À cela s’ajoute que, traditionnellement, ce corpus est considéré comme inspiré par Dieu : de nombreux écrivains et théologiens, voire philosophes, au fil de l’histoire en ont pris acte pour l’interpréter ou s’en sont inspirés dans leur propre travail d’écriture. De cette première question en découle une autre, liée à l’imprécision même du contenu que l’on donne au terme « Bible », tant dans la délimitation de son corpus que dans la définition de sa forme textuelle (c’est-à-dire à la fois les différents témoins manuscrits, les différentes traditions imprimées et leurs éditions, ainsi que les différentes traductions) ; le temps long de sa rédaction, la pluralité de ses formes textuelles et de ses réceptions – rédactions, formes textuelles et réceptions formant un réseau complexe dont l’articulation a pu être négligée ; on pourrait également s’interroger sur la valeur que peuvent avoir ces textes, considérés comme normatifs dans certaines communautés croyantes, dans le cadre d’une réflexion anthropologique au sein d’une société sécularisée. Ces questions, et bien d’autres encore sont à envisager en fonction de son « feuilletage », pour reprendre l’expression de Michel de Certeau : le corpus biblique se déploie dans des manuscrits comme des imprimés, dans des langues diverses, à travers des lectures qui le reçoivent comme texte sacré et comme texte littéraire. Dans cette perspective, la réflexion s’organisera autour de l’examen des mécanismes d’interprétation à travers les trois entrées suivantes :

- les problèmes et méthodes de l’établissement du texte, qui touchent à la philologie et à l’exégèse historique du texte biblique

- l’herméneutique entendue comme compréhension des procédures de configuration du sens, en synchronie historique (dans un même temps donné, sur plusieurs corpus en comparaison) comme dans la longue durée

- la productivité littéraire du corpus biblique, à la fois dans une perspective interne d’analyse, et dans une perspective externe de transformations textuelles (traduction, adaptation, réécriture, et plus généralement phénomènes intertextuels et phénomènes discursifs).

« Littérature et spiritualité »

Il peut paraître de l’ordre de la gageure ou d’un positionnement critique éculé de souhaiter articuler « littérature » et « spiritualité ». Rien de plus commun, voire de plus galvaudé que le lexème « spiritualité » qui semble flotter entre tous les usages à la mode possibles. Nous retiendrons du terme spiritualité moins sa définition restreinte (rapport au divin) que son élargissement à l’idée de souffle, dépassement vers un ailleurs, transcendant ou immanent, un élan qui caractérise le processus de création. C’est cet élan dans ses formalisations, dans sa dynamique poiétique qui nous paraît au cœur de l’expérience littéraire et fédérateur d’un faisceau convergent d’interrogations.

Du côté de l’invention, le propos est d’insister moins sur les thèmes énoncés (les « effets » littéraires) que sur leur énonciation. Pourront être envisagés les questionnements sur la parole inspirée et l’entrée en écriture. Comment corréler cette notion d’inspiration avec celle de mimésis, définitoire de l’œuvre  littéraire ? En quoi cette notion peut-elle permettre de retravailler celle de « littérarité » ? Il s’agit aussi de voir quelles règles président à la verbalisation de Dieu, à l’énonciation des prophètes et des visionnaires, à l’expression de l’expérience spirituelle. Les différentes formes d’écriture seront alors envisagées à la fois comme processus de dévoilement et comme exercices spirituels (Hadot).

Du côté de la fabrique des discours, voilà qui reviendra à mettre en évidence la « littérarité » de ces patrimoines, dans tous les sens de la notion jakobsonienne, que l’on se place du point de vue des spécificités formelles de la communication littéraire (Riffaterre), d’une sémiostylistique (Molinié) ou d’une herméneutique appliquée au texte littéraire (Eco). Il sera sans doute intéressant d’interroger les notions de fiction et d’espace littéraire à la lumière de la spiritualité grâce aux outils d’analyse du discours. Étudier la spiritualité comme dynamique de dispositio permettra, par exemple, de revenir sur une ambiguïté qui continue de peser sur la notion d’œuvre, conçue comme un tout organique ou un objet en soi. Le souffle est à la fois du côté de l’invention et de la lecture. L’œuvre, toujours en mouvement, est potentiellement ouverte, un déploiement permanent. L’idée de souffle permet alors d’envisager la variabilité même de l’œuvre sans postuler un modèle idéal. Voilà qui permet sans doute d’étudier en variation la construction des genres et l’organisation des poétiques.

Comment envisager l’énonciateur de ces configurations discursives portées par le souffle créateur ? Quel est son statut (immanent, divin, transcendant) ? quel est celui de sa parole : une parole d’autorité, de vérité, d’ornement ? celui de son expérience et des transformations qu’elles impliquent ? Quelles variations en termes d’éthos et de posture peut-on décliner : imitation, parodie, imposture ? Cette réflexion prendra bien évidemment en compte la question du génie et de l’inspiration. Nous sommes ainsi invités à réinterroger les processus de lecture et les pratiques herméneutiques comme des outils constamment adaptés à leurs objets. De même qu’on ne prend pas les œuvres comme des données, il s’agit de considérer les méthodes de lecture comme des outils plus que comme des modèles intangibles pour prendre en compte, dans la lecture, la dynamique propre des œuvres. Le positionnement de lecture induit par la prise en compte de la spiritualité invite ainsi à privilégier autant, sinon plus, les mécanismes de production sémiotique que les significations elles-mêmes.

Notre regard porte donc sur les traditions et patrimoines spirituels (textes, images, musiques) en tant que transferts culturels et herméneutiques. L’étude des liens entre littérature et spiritualité nous conduit, dans ces conditions, à une interrogation sur les valeurs transmises et sur leur réappropriation. Voilà qui invite à décliner les diverses méthodologies d’approche d’une esthétique articulée à une éthique et à une spiritualité des textes littéraires pour aboutir à une réflexion sur l’expérience du spirituel. Voilà qui permet d’ouvrir la notion même de littérature à ce qu’on laisse aisément dans son entour : traités de dévotion, poésie spirituelle, traités de théologie et de philosophie, corpus sacrés.

Théologie et rationalités

Introduction

Même si elle est le fruit d’une évolution antérieure, la coupure épistémologique symbolisée par les Lumières a profondément bouleversé le rapport de la théologie aux autres dimensions du savoir. Elle pose donc de manière fondamentale la question de la position de la théologie à partir de cette coupure, que ce soit par rapport aux autres savoirs déjà constitués ou aux savoirs émergents au sein de la modernité. Cette coupure doit donc être interrogée : vient-elle des difficultés de la rationalité théologique à se comprendre, se formuler et se légitimer dans ce nouveau cadre en reconstruction perpétuelle et/ou des autres rationalités à appréhender la spécificité de la raison théologique ? La spécialité théologie et rationalité a donc pour vocation de reprendre les différents aspects de ces interrogations selon trois orientations

1. Le rapport théologie et philosophie. Comment la théologie a-t-elle nourri – y compris à l’insu de celle-ci et contre ses intentions explicites – la philosophie et comment continue-t-elle et peut-elle encore continuer à le faire, malgré la coupure des Lumières et l’indifférence contemporaine dont la réflexion théologique actuelle est parfois l’objet au-delà du débat d’idée ? Inversement, le XXe siècle n’a-t-il pas développé des courants et des pratiques philosophiques (phénoménologie, philosophie analytique, philosophie du langage, pragmatique, herméneutique, etc….) permettant de réinterroger le théologique dans son histoire et ses développements contemporains au-delà d’une posture critique aujourd’hui dépassée ?

2. La confrontation avec les autres approches du religieux. Ces problématiques et ces démarches nouvelles ne peuvent faire l’économie d’une confrontation avec les différentes approches, non théologiques et non philosophique du religieux, telles qu’elles se sont développées aux XXe et XXIe siècles. Comment ces recherches peuvent-elles nourrir la réflexion théologique et l’approche philosophique du théologique et que donnent-elles à penser ?

3. La rationalité éthique à l’époque contemporaine. Elles ne sauraient non plus s’abstraire des débats éthiques contemporains et de la rationalité spécifique que ceux-ci mettent en jeu. A partir notamment de l’éthique chrétienne et de ses évolutions, ne peut-on interroger la spécificité de l’éthique théologique au regard des éthiques philosophiques, de la rationalité qu’elle met en œuvre et de l’intelligibilité qu’elle peut produire ? Quelle est la perspective spécifique des éthiques théologiques au regard des logiques du monde contemporain (politiques, sociétales, économiques) et de la place qu’elles donnent – ou refusent au religieux ?