(dés)identification de la figure de l’artiste
Phoebe Clarke, Bruno Trentini2018
La Renaissance et Léonard de Vinci, notamment pour déconstruire le modèle de l’artiste-artisan, ont décrit l’art comme cosa mentale. Cette idée a concomitamment lutté contre celle de l’artiste inspiré par les dieux ou les muses que décrivait déjà Platon dans son Ion. Les siècles qui ont suivi, et le XVIIIe siècle en particulier, ont toutefois réhabilité ces discussions par le biais du thème du génie. Ainsi quelque chose échappe à nouveau à l’artiste, qui ne peut ni acquérir ni enseigner ce qui fait son artisticité, et ce quelque chose renvoie à ce qui dépasse les hommes : la nature et Dieu. Or, avec la relative déchristianisation des sociétés occidentales, l’artiste a perdu sa spécificité et a dû rechercher une nouvelle source d’inspiration – la source divine semblant parfois tarie. Ce changement accompagne une nouvelle manière de penser la place de l’artiste au regard des oeuvres d’art, comme si la désacralisation de la création artistique permettait une meilleure consécration de l’artiste. L’hagiographie vasarienne des artistes est devenue une mythologie barthesienne.
Cette petite histoire de l’artiste, brossée à grands traits, doit être mise en relation avec toutes les autres descriptions – plus ou moins originales et fantasques – dont les artistes ont été affublés : être inspiré des dieux et génial, c’est une chose, mais l’artiste évoque aussi une forme de folie, de dépression mélancolique, de marginalité ou encore de mégalomanie. À toutes ces facettes s’ajoute encore le mythe persistant de l’artiste maudit et pauvre jusqu’à sa mort – qui cohabite très bien avec celui de l’artiste riche sans aucun mérite.
Autant l’identité sociale de l’artiste semble plurielle et contradictoire, autant la volonté de la ranger dans une boîte bien étiquetée est claire et singulière : les artistes n’échappent pas aux démarches d’Othering et de marginalisation. C’est précisément ce processus de stigmatisation telle que l’a théorisé Erving Goffman et sa proximité aux démarches visant à donner une définition de l’artiste que questionnent ce numéro 14 de la revue Proteus. Si tant est que cette démarche définitionnelle a été pertinente, l’est-elle encore ? Les nombreuses formes artistiques rendent-elles seulement difficile ou totalement impossible toute tentative de subsumer les artistes sous un trait identitaire commun ? Avant d’essayer de le faire, il est important d’interroger les présupposées et les éventuelles conséquences épistémiques de cette démarche analytique qui, nécessairement, court le risque d’être réductrice. Aussi, même si là n’est pas le but qu’elle vise, elle peut donner l’illusion d’expliquer de manière déterministe ce qui fait que telle personne est ou n’est pas artiste.
Au-delà et en-deçà de la (dés)identification de la figure de l’artiste et de son rôle au regard de la société, les articles de ce numéro se saisissent également d’identités plus restrictives et revendiquées par les artistes – identités qui peuvent avoir un impact sur l’oeuvre et sa réception.