La présente étude s’emploie à reconstruire et à analyser la conception eckhartienne de l’auto-intellection de Dieu, afin de mettre en évidence les divers enjeux de cette question, et par suite de mesurer l’importance exacte qu’elle revêt dans l’oeuvre et la pensée du Maître rhénan – surtout quant à son effort spéculatif pour accuser la réalité métaphysique de l’Intellect divin et rendre compte de son opérativité. L’ensemble de cette recherche se fonde sur un extrait du Sermon allemand 80, qui expose avec force et concision la richesse de l’intellectualité de Dieu à travers l’étendue de son acte d’auto-intellection, et propose ainsi une vue synoptique d’un traitement systématique de la question.
Chapitre. I. La question de l’intellectualité de Dieu dans l’oeuvre d’Eckhart
Rappelant d’abord l’omniprésence de la question De scientia Dei dans le débat scolastique depuis le milieu du XIIIe s., en soulignant l’importance qu’a tenue l’enseignement de Thomas d’Aquin, ce chapitre s’applique donc ensuite à déterminer l’intérêt accordé par Maître Eckhart à cette question dans ses écrits universitaires, mais se heurte à l’absence de son – authentique – Commentaire des Sentences et des deux premières partie de son OEuvre tripartite (à savoir l’Opus propositionum et l’Opus quaestionum). Le Prologue général à cette grande œuvre nous permet toutefois de développer une « approche propositionnelle » du problème – dans le respect de l’intention d’Eckhart et de sa « nouvelle logique du savoir » –, retranscrite par un schéma.
Chapitre. II. De Esse est deus à Deus est intelligere
Exploitant méthodiquement ledit schéma, le second chapitre se concentre sur les propriétés communes de l’Être divin et de l’acte d’intelliger (simplicité et unité) afin d’établir la déductibilité de la proposition Deus est intelligere à partir la proposition « fondationnelle » de l’Œuvre tripartite : Esse est deus. La complémentarité de ces deux propositions – qui à elles seules instrumentalisent tout l’enseignement d’Eckhart sur la substance divine –, nous amène ainsi à constater : 1) la cohérence et l’homogénéité du discours d’Eckhart, qui, restant fidèle à ses prémisses, a toutefois su s’adapter au contexte de son énonciation ; 2) l’unicité de l’esse et de l’intelligere divin, de sorte que le verbe « intelligere », dans son absoluité, ne soit plus seulement une raison de consignification à l’égard du mode d’être de Dieu, mais qu’il soit prédicable uniquement de l’Être qu’est Dieu.
Chapitre. III. Deus est intelligere seipsum
L’explication de notre « schéma propositionnel » s’est conclue par l’affirmation que seul Dieu est proprie intelligere, c.-à-d. per essentiam. Fondée sur la légitimité et la cohérence avérées d’une telle déduction de la proposition Deus est intelligere, le troisième chapitre se consacre à l’examen des modalités de cet acte, à savoir la détermination de son objet et la relation qu’il entretient avec celui-ci, en vue de démontrer que l’intelligere divin se comprend uniquement comme acte d’intellection substantielle de soi ; si bien que Dieu s’intellige proprement Lui-même (en raison d’une identité absolue de l’intellect et de l’intelligé), et par Lui-même (en excluant toute sorte de médiation), et en Lui-même (suivant un mouvement réflexif complet, conformément à la simplicité de son essence).
Chapitre. IV. L’auto-intellection de Dieu et la Trinité
À l’appui des principes philosophiques posés dans le précédent, ce chapitre entame l’étude de la productivité propre à l’acte d’autointellection de Dieu, dont le premier degré – la bullitio – nous entraîne au cœur de la théologie spéculative d’Eckhart, en montrant que sa conception noétique de Dieu est parfaitement conséquente à son interprétation du mystère trinitaire, qui s’enracine dans le commentaire exégétique du quatrième Évangile. En effet, le déploiement formel de cet acte coïncide avec la génération intellectuelle verbum in principio (Jn 1,1), si bien que le Fils se définit comme le Verbe engendré par l’auto-intellection du Père (qui est Principe de toute la Déité), tandis que l’Esprit Saint personnifie la conversion réflexive reliant l’Intellect paternel à son Image de lui-même dans un Amour réciproque.
Chapitre. V. L’auto-intellection de Dieu et la création
Pour Eckhart, l’émanation des Personnes en Dieu est praevia et prior en tant que causa, ratio et exemplar de la création, c.-à-d. que la procession des créatures ad extra est le prolongement théophanique d’un mouvement proversif principié par l’Intellect divin qui, en s’intelligeant lui-même comme l’Esse ipsum, c.-à-d. comme locus propriissime omnium entium, engendre un Verbe qui est aussi la Raison idéelle de tous les étants productibles émanant de sa causalité créatrice. Ce chapitre analyse donc la productivité extérieure de l’autointellection de Dieu, en conformité à son déploiement intratrinitaire, afin de montrer comment ces deux différents degrés de production – l’un per modum formalis (bullitio) et l’autre per modum efficientis et finis (ebullitio) –, bien que simultanés, s’articulent néanmoins selon un rapport d’antériorité ou de priorité causale et exemplaire, si bien que Dieu intellige nécessairement toutes choses en s’intelligeant Lui-même comme leur Principe, grâce à la double fonction du Verbe.
Annexes :
1. Édition critique de la distinction XXXV du Commentaire des Sentences retrouvé dans le Ms. 491 de Bruges (précédée d’un bilande la controverse sur l’attribution de ce commentaire et des recherches sur son rapport avec la Lectura Thomasina)
2. La science du Christ et ses enseignements chez Maître Eckhart : étude sur le Sermon allemand 90 (suivie d’une traduction).