Cette thèse porte sur la production des identités en contexte post-colonial. Elle part du constat selon lequel les divers aspects de la société-monde (la circulation des personnes, des capitaux et des cultures) ont participé à la formation d’un public enfant pluriculturel, influencé par une culture-monde, elle-même dominée par les cultures des grandes puissances économiques. Face à cette « colonisation des imaginaires » (Joseph Tonda, 2015), interprétée par certains chercheurs comme une américanisation du monde (Jean-Marie Guehénno, 1999), on assiste à une « contre-attaque » des minorités (cultures peu visibles dans le sillage de la culture-monde) : les écrivains africains, antillais, amérindiens, etc., entendent écrire des livres géoculturalisés à l’intention des enfants et des jeunes : le but serait de leur transmettre un héritage culturel, linguistique et historique susceptible de leur apporter un équilibre identitaire dans le maelström de la globalisation culturelle. Ainsi, dans un contexte post-colonial, de « grands » écrivains contribuent à enrichir la bibliothèque des plus petits, à qui ils fournissent des récits « ancrés » dans des cultures du terroir ; ils font ainsi, de la littérature pour la jeunesse, un outil de transmission des identités culturelles. Or, l’analyse d’un échantillon de cette production littéraire (constituée des œuvres de Maryse Condé, Louise Erdrich et de Véronique Tadjo) révèle, outre l’existence de ce qu’on pourrait appeler une littérature de jeunesse post-coloniale, un paradoxe lié à l’engagement même des auteurs : les œuvres qui s’annoncent comme des productions géolocalisées oscillent, en réalité, entre nation et mondialisation, local et global, particulier et universel. Ce phénomène, qui s’explique par le métissage et le parcours des écrivains, débouche sur ce qu’on pourrait appeler une « double impossibilité de passage » en même temps qu’elle fait penser à une « imposture culturelle » (Hélé Béji) dont la fonction pourrait être de favoriser l’entrance des auteurs dans le marché international de la reconnaissance. En effet, le débat sur les identités éclairé par les thèses d’Hélé Béji, Laurent Dubreuil, Léonora Miano, entre autres, sans dénier le rôle positif que la littérature de jeunesse postcoloniale peut jouer dans la construction de nouvelles citoyennetés (celles de lecteurs-mondes ouverts sur l’universel), est néanmoins susceptible d’éclairer autrement les configurations et les effets de ces écritures. La présente étude doit donc permettre de discerner les démarches esthétiques et sociologiques ainsi que les enjeux politiques de cette production littéraire. Les premières concernent, d’une part, l’organisation textuelle et ses caractéristiques formelles et, d’autre part, la dimension épistémologique d’une littérature de jeunesse post-coloniale (Clare Bradford, 2007). Les deuxièmes, quant à elles, concernent les stratégies éditoriales des écrivaines (circulation entre les secteurs éditoriaux, lieux de publication, traductions, etc.) ainsi que les modalités et le sens possible d’une ouverture de l’enfant à l’universel. Les dernières, enfin, se penchent sur les enjeux de la question identitaire par rapport à l’entrance des auteurs et au débat actuel sur la politique d’identité.